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Le GR 20 de Calenzana à Vizzavone

 

 

 

7 Juillet:

Tout invite au farniente: le ciel bleu, la chaleur, la mer sans ride, la plage de Calvi. Mais à l'horizon, des sommets encore parsemés de neige nous attirent mystérieusement, comme s'ils cachaient quelque trésor. Pour Charles et Yann (9 et 10 ans), en particulier, cette longue randonnée préparée depuis plusieurs mois a des parfums d'aventure exotique. Pourtant nous savons à l'avance que le sac sera lourd aux épaules et les chemins rudes pour les genoux. Notre impatience, cependant, est grande: nous voudrions bien commencer notre périple dès ce premier soir pour bivouaquer dans la solitude du maquis; mais règlement oblige, nous installerons notre tente près du gîte de Calenzana. L'accueil sympathique du gardien et le "casa" au bistrot du village, bien que ne faisant pas partie de la panoplie diététique du marcheur, calment notre impatience.

 

8 juillet: Calenzana -Ortu I Piobbu

Pour éviter la chaleur, nous décidons de partir tôt. Calenzana est encore endormi quand nous traversons silencieusement le village. Par précaution le rythme de départ est lent mais régulier, comme si chacun voulait prendre l'exacte mesure de l'effort à fournir. Le soleil levant va bientôt impressionner le paysage de teintes rousses, ocres, invitant les photographes à fixer ces couleurs fugitives. Au fur et à mesure de notre montée vers la Bocca U Saltu la vue s'élargit et s'enrichit de nouvelles perspectives sur l'arc de cercle quasi parfait de la baie de Calvi. Au col une pause bienvenue permet de mesurer le chemin parcouru et surtout de compenser les calories dépensées. La montée continue sur le versant nord-est du Capu Ghiovu; des lys orangés apportent une touche de couleur à un décor qui progressivement cède la place aux rochers: la marche nécessite plus d'attention et s'agrémente de quelques pas d'escalade facile dans lesquels, cependant, le sac à dos se rappelle à la mémoire de ceux qui l'auraient déjà oublié. Vers midi, apparaît le refuge, approximativement à la même altitude. Mais les apparences sont trompeuses et il faudra encore peiner une heure au soleil pour contourner plusieurs petits vallons, écarter quelques vaches du sentier étroit avant d'arracher dans un dernier effort les lacets qui mènent au refuge d'Ortu I Piobbu.

 

9 Juillet: Ortu I Piobbu -Carozzu

Pleins de courage, nous entamons la deuxième étape. Les épaules commencent à s'habituer au poids du sac. Une courte montée nous mène sur une crête; l'altitude ainsi gagnée est immédiatement perdue dans la descente vers la bergerie de Mandriaccia. C'est après que commence la véritable ascension vers le col. La pente est raide dans un dédale de blocs et de taillis d'aulnes. L'attention est de rigueur pour ne pas perdre la trace. Au col le paysage saisissant fait oublier les efforts de la montée: aiguilles, couloirs vertigineux, dalles lisses nous donnent un premier aperçu du domaine minéral dans lequel nous allons évoluer les jours suivants. Le massif du monte Cinto découvre au loin sa masse imposante. Le chemin se poursuit le long d'une arête qui, par une succession de montées et descentes, atteint le col d'Avartoli. Un cheminement compliqué dans des couloirs et des vires nous amène au col de l'Innominata. La longue descente vers le refuge Carozzu nécessite encore de rester vigilant pour épargner chevilles et genoux. Avec soulagement nous posons nos sacs pour installer la tente dans une petite clairière proche du refuge. A un quart d'heure de marche les grandes baignoires de la Spasimata nous attendent pour le bain frais et les superbes plages de rocher lisse sont une invitation à lézarder au soleil.

 

10 Juillet: Carozzu -Stagnu

Réveil matinal pour une étape qui s'annonce assez longue. Dans la fraîcheur nous gagnons le torrent de Spasimata et sa passerelle suspendue: les photographes se mettent en place pour saisir le sourire, détendu ou crispé, de ceux qui traversent. Aujourd'hui, montée au milieu de grandes dalles inclinées, très adhérentes mais parfois assez élevées. Les 900m de dénivelée vers le lac de Muvrella sont avalés assez facilement: les épaules s'habituent au poids du sac et l'attention nécessitée par les pas d'escalade évite de trop s'appesantir sur le souffle parfois court ou les muscles un peu courbaturés. Du lac la vue vers la vallée apparaît grandiose: le paysage n'est composé que d'aiguilles très élancées. Une pause au bord de l'eau offre l'occasion d'une bataille de boules de neige. Un couloir raide monte au col de la Muvrella où se dévoilent les hauts sommets du massif du Cinto, mais le Cinto, lui, se dérobe encore au regard.

Une traversée agrémentée de quelques pas d'escalade nous mène à la Bocca Culaghia: 600m plus bas, Stagnu parait proche mais la descente est raide dans des blocs et des dalles qui, une fois de plus, malmènent les articulations. A l'arrivée, suprême récompense: rafraîchissements et douche chaude.

 

11 Juillet: Monte Cinto

Comment résister à l'attraction du Monte Cinto? Nous entamons notre grimpette d'un bon pas, et jouissons du plaisir de marcher avec un sac léger. Escalades faciles et pierriers permettent de gagner rapidement le pied du Cinto: sa face Nord verticale de plusieurs centaines de mètres fait grande impression. Dans ce décor désolé et sauvage surgit tout d'un coup un berger et son troupeau de chèvres qui dévalent l'éboulis et rompent la solitude et la sévérité des lieux. Une longue pente caillouteuse nous mène à la crête et nous nous proposons de suivre l'arête jusqu'au sommet. Bien vite nous comprenons qu'il faut redescendre sur l'autre versant et suivre un cheminement assez détourné pour atteindre le sommet. Quelques choucas rodent et, sans crainte, viennent grignoter les restes de notre repas.

 

 

12 Juillet: Stagnu -Ballone

La vallée large est ensoleillée dès le départ. Le décor tranche avec les jours précédents, puisque le chemin monte en pente douce au milieu de la verdure d'innombrables taillis d'aulnes nains; mais petit à petit la pente se redresse dans les rochers et les névés qui mènent au col Perdu. Toute la troupe est impatiente de découvrir ce cirque de la Solitude, objet de nombreuses conversations depuis plusieurs jours. Du col Perdu, le cirque se découvre dans l'ombre, austère: le couloir de descente raide, l'itinéraire de remontée aux dalles aériennes sur l'autre versant.

Mais de solitude,...point: beaucoup de randonneurs qui attendent pour saisir les câbles facilitant les passages délicats de la descente. Dans le bas une petite halte permet de reprendre des forces avant de se lancer dans la remontée. Une fois passées les dalles, la pente dans la terre et les blocs est toujours aussi raide: le soleil commence à chauffer mais personne n'a envie d'interrompre l'effort jusqu'à la Bocca Minuta. Des commentaires admiratifs saluent l'arrivée des enfants qui affirment fièrement que ce n'était pas difficile. La descente est moins facile que prévue, mais le refuge est plein et nous sommes obligés de poursuivre encore une demi-heure vers les bergeries de Ballone. De petites terrasses bien abritées permettent de planter la tente. Le torrent est tout près et nous permet de détendre les pieds et les muscles endoloris. Le berger nous accueille chaleureusement pour l'apéritif et le repas du soir.

 

13 Juillet: Ballone -Castel di Verghio

Des bergeries nous gagnons une belle forêt de pins Laricio très élevés avant d'entamer la remontée vers la Bocca di Foghieghiallu. La vallée est large, sans raideur, bien ensoleillée. Mais la forme du groupe n'est pas au mieux, vraisemblablement à cause du repas de la veille trop frugal, et les pauses sont nombreuses. Au col le panorama est vaste sur de grandes pentes de rochers rouges. Une longue halte pour avaler un gros casse-croûte redonne le moral pour repartir dans la longue traversée du cirque des sources du Golo, dominé par l'arête élancée de la Paglia Orba. Au passage un large aperçu vers la mer nous est offert. Dans la descente la forme revient. Nous cheminons le long d'un torrent à l'eau tumultueuse qui invite à un rafraîchissement bien mérité. C'est au bord d'un grand bassin, sur des dalles polies et chauffées au soleil, que nous posons un moment le sac: plongeon pour les uns, trempette du bout des pieds pour les autres. Mais une dernière épreuve nous attend: 2 kilomètres de route bitumée avant d'atteindre Castel di Verghio et son gîte qui n'a rien d'un château!

 

14 Juillet: Castel di Verghio -Manganu

Les fuites d'eau ne nous ont pas empêchés de profiter d'une douche chaude et de passer une nuit reposante sur les matelas du gîte. Le sac s'est alourdi du ravitaillement pour les 5 jours suivants. Heureusement le chemin n'est ni raide ni caillouteux. Le vent nous accueille au col saint Pierre et nous poursuivra tout au long du parcours sur l'arête qui conduit à la Bocca a Retu: la vue est dégagée au loin sur les 2 versants et en dessous apparaît la large dépression du lac de Nino. Le paysage est presque bucolique: reliefs arrondis, prairies très vertes, tourbières, avec cependant au loin la masse rocheuse du massif du Rotondo. La marche serait presque reposante si le poids du sac ne freinait un peu nos élans. Une arrivée rapide au refuge de Manganu nous laisse le loisir d'une grande lessive qui séchera vite au soleil et au vent, pendant qu'allongés sur une dalle, au soleil, nous nous laissons envahir d'une douce torpeur.

 

15 Juillet: Manganu -Pietra Piana

Le vent a soufflé fort toute la nuit, faisant claquer la tente, et au réveil, la fraîcheur, relative, nous oblige à enfiler pull et pantalon. La montée s'effectue dans un vallon sinueux, alternant verrous rocheux et replats herbeux avant d'atteindre une zone de blocs caillouteux. Sous la brèche de Capitello la pente se redresse et à nouveau un paysage d'arêtes déchiquetées nous environne. L'autre versant nous offre l'abri du vent et surtout le soleil. La vue est plongeante sur les lacs de Capitello et de Melo. Un névé persistant réclame un minimum de prudence: une glissade se terminerait par un plongeon spectaculaire dans le lac. Le cheminement se poursuit tout au long d'une arête qui fait le tour du cirque. Au passage, plusieurs cols offrent des échappées sur la mer. Après la Bocca Soglia une traversée dans de gros blocs oblige à maintenir une attention permanente. La remontée vers le col Renoso parait bien longue à nos jambes fatiguées. La vue est impressionnante sur la brèche de Capitello franchie quelques heures auparavant et sur les dalles vertigineuses qui descendent vers le lac comme un toboggan géant. Après une halte restauration et une descente assez facile nous atteignons le refuge de Pietra Piana.

 

 

16 Juillet: Monte Rotondo

Le Monte Rotondo n'est pas très loin. Nous décidons d'aller découvrir le panorama du sommet: les 800 mètres de dénivellation sont escaladés sans effort en éprouvant le plaisir de se sentir léger. L'itinéraire est compliqué, sans véritable trace, dans des pierriers et des dalles, mais balisé tout le long de cairns. Un grand lac circulaire à l'eau très claire et fraîche occupe une cuvette au pied du sommet. Celui ci est peu individualisé au milieu d'une crête rocheuse qu'il faut gravir sur des dalles de granit rugueuses et très adhérentes. Près du sommet, coincé entre des rochers, se niche un petit refuge en très bon état. Une visibilité exceptionnellement dégagée sur toute la Corse permet d'apercevoir une succession sans fin de vallées et de chaînes de montagnes. La nuit sera agitée pour certains: des cochons, toujours à la recherche de nourriture, viendront jusque sous les tentes fouiller les sacs à dos, ce qui obligera certains dormeurs à un rodéo en pleine nuit pour les rattraper.

 

 

17 Juillet: Pietra Piana -Onda

L'étape débute par une longue descente vers le ruisseau de Manganellu et se poursuit tout au long de ce torrent dans une belle forêt qui procure une ombre rafraîchissante. Nous profitons d'une halte aux bergeries de Tulla pour compléter notre ravitaillement en fromages, saucissons et autres vivres. Des ânes, très fouineurs, sont prêts à tromper notre vigilance pour chaparder dans les sacs. Après avoir traversé le torrent aux belles cascades il faut retrouver le rythme de la montée, à l'ombre d'une épaisse forêt de hêtres, pour rejoindre le refuge de l'Onda. Là, une agréable surprise nous attend: une grande étendue herbeuse et plane accueille notre campement, ce qui nous change agréablement des emplacements poussiéreux et caillouteux habituels. Un grillage clôture l'ensemble pour nous éviter les visites indésirables des cochons. La baignade dans le torrent suivi de la sieste au soleil sera, une fois de plus, l'occupation principale de l'après-midi.

 

18 Juillet: Onda -Vizzavone

C'est aujourd'hui la dernière étape de notre périple corse. Hier soir nous avons délesté le sac de presque toutes ses provisions: jamais repas n'avait été aussi copieux depuis le départ. Il nous reste à franchir la brèche de Muratello atteinte par une longue croupe herbeuse assez raide sur laquelle nous rencontrons de nombreux troupeaux: vaches, chèvres, cochons. A la brèche, après une dernière hésitation, nous renonçons à traverser le Monte D'Oro et redescendons directement dans la vallée. Au cours de cette descente nous retrouvons tout ce qui a fait notre lot quotidien de marcheurs: blocs, éboulis, mais aussi chemins dans l'épaisse forêt de Vizzavone. Après quelques tâtonnements nous trouvons la route de la gare, terme de notre voyage.